Nous étions en 1982. Le 23 mai, très exactement. Lendemain de l'anniversaire d'Hergé, dont seuls ses proches connaissaient la gravité de l'état et la réalité de la maladie qui allait l'emporter, quelques mois plus tard, le 3 mars 1983. J'étais alors animateur débutant sur une radio libre, Radio Campus, la radio de la communauté de l'Université libre de Bruxelles. Avec Michel Campus, technicien et ami, chaque week-end, nous réalisions "Dessine-moi un mouton", la première émission de radio intégralement consacrée à la bande dessinée. Tous les dimanches depuis fin 1980, un auteur de BD nous accompagnait durant deux heures. En 1979, pour les cinquante ans de Tintin, j'avais réalisé un numéro spécial du fanzine "Skblllz", et j'étais tombé dans la marmite de potion magique hergéenne. Une passion qui allait se concrétiser par la création d'une association ludique, "Les Amis d'Hergé", fondée avec l'imprimatur d'Hergé, qui rassembla les premiers tintinophiles. D'autres fanatiques encore plus passionnés la poursuivraient après sa mort avec une association beaucoup plus active: "Les Amis DE Hergé". Lorsqu'en 1982, Hergé approcha de ses trois-quarts de siècle, ces deux passions — tintinophilie et radioBDphagie — se rejoignirent et naquit le projet insensé de rassembler autour du micro tous ceux qui avaient écrit sur Hergé. Une longue quête commença, à la recherche de ces spécialistes de la première heure. Tous acceptèrent d'y participer, soit en direct, soit sous la forme de témoignages enregistrés. Ceux qui possédaient des entretiens avec Hergé nous autorisèrent à en reprendre des extraits. Et ce fourmillement de témoignages nous permit de réaliser dix heures d'émissions. Dont la première fut diffusée le 23 mai, en compagnie de ses deux plus proches collaborateurs, Alain Baran et Bob de Moor. A l'époque, un petit tirage confidentiel fut réalisé sur cassettes, la moitié pour les participants, l'autre moitié mise en vente pour couvrir les frais de copie. Les bandes originales furent offertes à Hergé. Elles appartiennent désormais à la Fondation qui porte son nom. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis. Hergé a disparu, les studios Hergé ont été dissous, la Fondation Hergé a pris la relève autour du dynamique Philippe Goddin pour que continue à vivre son œuvre, et la société Moulinsart, créée par Nick Rodwell, a ensuite été créée pour en gérer les aspects financiers, avec les dérapages que l'on connaît depuis et les effets calamiteux sur le capital de sympathie de l'œuvre d'Hergé auprès de ses millions de lecteurs. Pour commémorer le vingtième anniversaire de la disparition d'Hergé, j'ai décidé de rééditer sur CD-ROM, en MP3, l'hommage de la communauté tintinophile de 1982, et d'en encourager la redistribution. Vingt et un ans après, la naïveté de cet hommage saute aux yeux. La statue a été déboulonnée depuis et Hergé a quitté le statut de mythe pour redevenir un être humain, avec ses qualités et ses défauts. A l'époque, nous étions loin de cette remise en question. De même, de nombreux livres ont, depuis, été écrits sur l'homme et sur son œuvre; on les comptait alors sur les doigts d'une main. Réécoutant ces cassettes, je rougis à l'amateurisme de ces débuts radiophoniques. Au rythme cahotique de ces émissions. A ces textes qu'on sent lus, à cette voix mal posée. Mais je retrouve en même temps cette passion qui me guidait à l'époque et je me rends compte qu'elle est toujours là. Je me dis que j'ai eu bien de la chance de pouvoir faire ces émissions avec d'autres, bien plus compétents que moi. Que si c'était à refaire, je resignerais illico. Mais qu'aujourd'hui, je ferais beaucoup mieux. Au moment d'écrire ces lignes, j'ai une pensée très émue pour Bob de Moor, disparu depuis sans avoir pu accomplir son rêve, dessiner l'Alph'Art, alors qu'il en était pleinement capable. Et une de gratitude énorme pour tous ceux qui m'avaient accompagné à l'époque dans ce projet titanesque. Ce CD-ROM comprend les cinq émissions de deux heures (amputées des respirations musicales), ainsi que diverses émissions réalisées par la suite autour d'Hergé et de son œuvre. Le son n'est pas optimal, mais ces enregistrements ont dormi pendant vingt ans sur de simples cassettes mono et il est déjà miraculeux qu'elles n'aient pas été complètement effacées par le temps. Ecoutez-les donc avec indulgence. Et si vous jugez que le contenu en vaut encore la peine, redistribuez-les autour de vous.

Patrick Pinchart